Nichée au plus secret de l'arrière-pays provençal, l'abbaye cistercienne de Sénanque s'offre, comme à regret, au visiteur venu troubler la solitude de sa retraite. Elle incarne une toute autre Provence, que celle des plages, des calanques, des vergers et des cités majestueuses qui attirent les foules.
Cette Provence est celle des vallons ombragés et de la pierre sauvage, des ruisseaux cachés et des sources mystiques. Je vous emmène, aujourd'hui, dans un très beau coin de nature, aux portes du Luberon, dans le Vaucluse, une belle découverte pour ceux qui ne connaissent pas cet endroit étonnant !
Tout proche de Gordes, nous empruntons la petite route touristique et sinueuse. Après quelques virages bien serrés, on descend dans une vallée qu’ombragent, çà et là quelques bouquets de chênes séculaires. Au milieu de ceux-ci s’élève une imposante construction romane. L'abbaye de Sénanque apparait, dans toute sa majesté baignée de lumière.
C'est véritablement un lieu reposant, chargé d'histoire et d'émotion, avec une architecture et un cadre remarquable, surtout à la période de la floraison de la lavande. Mon défi, ce jour-là, a été de trouver des endroits, avec un peu moins de touristes, pour pouvoir prendre de belles photos.
C'est au creux d'un vallon étroit et sauvage, où coule un ruisseau, appelé la Sénancole, que cette abbaye cistercienne a été fondée, en 1148. Elle a été crée, à l’initiative de l’évêque de Cavaillon, sur les terres du seigneur de Gordes, qui ainsi acheta un billet pour son salut éternel, et faisait défricher des terres inhospitalières et marécageuses par des tiers.
Les moines ont contribué à l’essort économique, de beaucoup de régions, comme ici, par leur travail de défrichage, les rendant habitables et fertiles.
Suite aux guerres de religion, l’abbaye a été incendiée au milieu du XVIe siècle par les vaudois, en réponse aux massacres dont ils avaient été victimes. Elle a été pratiquement abandonnée à partir de cette époque, par la suite avec la révolution elle est devenue propriété de l’état. Grâce à son emplacement géographique, elle n'a pas été détruite, car il n’y avait pas de chemin d'accès, qui y conduisait. La route actuelle n'a été créée, seulement, aux alentours de 1920.
Elle a été achetée vers le milieu du XIXe par un « industriel », interréssé par ce bâtiment et qui l’a revendu à un ecclésiastique fin du XIXe. A partir de ce moment là, l’abbaye est devenue un domaine privé, géré par des intérêts privés, et cela a permis aux moines de se réinstaller et faire prospérer leur abbaye. Il y a eu jusqu’à 72 moines à Sénanque. L'abbaye ne pouvant pas nourrir tout le monde, une partie des moines a migré à l’abbaye de Lérins.
Les moines ont construit l’abbaye en une vingtaine d’année, en fonction des saisons, et des dons qu’ils pouvaient obtenir du seigneur de Gordes, et également grâce à l’aide inestimables des convers, qui étaient une main d’oeuvre bon marché (membres des ordres religieux catholiques, d'origine modeste, chargés des travaux). Il y avait également des civils (maçons, charpentiers..), qui travaillaient aussi pour la construction de l'abbaye.
Ce joyau de l’art roman, demeure comme un des plus purs témoins de l'architecture cistercienne primitive. Faite en pierres dorées, et enclavée dans ce vallon enchanteur, l'abbaye est tout simplement incroyable ! Toutes les abbayes cisterciennes étaient construites dans des lieux éloignés du monde pour se consacrer à leur spiritualité. Il suffisait qu'il y ait, à proximité, de l’eau et de la pierre, pour construire l’abbaye, et bien sûr suffisamment de terre pour pouvoir y vivre en autarcie.
Pour construire l'abbaye, les moines cisterciens se sont inspirés des méthodes de constructions romaines. Malgré le tremblement de terre destructeur, ayant eu lieu en Provence en 1909, l’abbaye de Senanque est toujours debout et ne garde que peu de traces de ce séisme.
Ils devaient être 12 + 1 prêtre (comme les douze apôtres et Jésus), pour pouvoir créer une abbaye. Le nombre de résidents pouvait, après augmenter ou diminuer, sans règle spécifique. Leur patron, Saint Bernard, trouvait qu’il y avait trop de richesses, au sein de l’église catholique, traditionnelle, et souhaitait que les moines puissent mener une vie orientée vers la méditation et la prière. Ainsi les moines ne seraient pas distraits par le décor ou les tentations de ce monde, d’où le choix de lieux isolés et très dépouillés.
Les journées des Cisterciens sont longues, partagées entre la prière et les travaux des champs aux côtés des convers, entrecoupées seulement de sept heures de repos quotidien. Sept offices rythment la journée des moines, accompagnant le soleil qui pare le ciel d'azur, à l'heure de la messe. Ils puisent, dans cette méditation, la force d'accueillir et surtout d'écouter, sans relâche, les 800 retraitants qui viennent chaque année se ressourcer à l'abbaye.
Bordée de champs de lavande, de garrigue et de chênes kermès, l'abbaye de Sénanque est enchâssée dans une nature intacte. La petite communauté de moines qui y vit, s'incruste dans la nature environnante, qui lui prodigue ses fruits en échange de son labeur. Dix hectares de lavandin dessinent une mer de couleur, au fond du vallon austère et illuminent cette campagne magnifique. Les champs de lavande, à l'odeur entêtante, sont récoltées au soleil au mois de juillet, puis distillées à l'extérieur, avant de produire une huile essentielle de grande qualité.
« Plus que la beauté, c'est Dieu que je scrute en cultivant toutes ces parcelles, observe un frère, jardinier de la communauté. Au fond, je ne cherche pas la perfection pour elle-même. Mais je travaille. Sachant que cet acte de volonté construit la personne humaine, prouve que je suis un homme engagé dans la vérité. C'est du concret, à l'inverse de la vie spirituelle qui, elle, n'est pas palpable. Mais les deux se rejoignent si fort dans mon existence, que la beauté vient au bout du compte ».
Cette alliance en dit long sur Sénanque et sa vie monastique, où la quête spirituelle s'enracine dans la solitude, dans le travail et dans le silence qui monte de la nature intacte.
A Sénanque, le silence est absolu, jamais troublé. Cette immense quiétude marque l'harmonie du monastère, au milieu de ce décor paisible. Un corps de logis, bâti dans le siècle dernier, abrite une partie de cette vénérable relique du passé.
Cette abbaye, de pierres dorées, au fond de la vallée, est une pure merveille. Une visite s'imposait afin d'en connaître un peu plus sur la vie en communauté d'hier et d'aujourd'hui. Le guide qui nous a fait la visite est un puits de sciences.
- L'église abbatiale : Elle est magnifique, du roman dans toute sa splendeur et sa simplicité. La nef est un pur chef d'oeuvre de l'architecture cistercienne.
« A Sénanque, le silence est absolu, jamais troublé, à l'image de la nuit qu'aucune lueur ne perce dans ce vallon du Luberon, confie un frère, prieur de la communauté. Cette immense quiétude marque l'harmonie de notre monastère avec la nature. Et elle porte nos prières. » Voilà neuf siècles que celles-ci résonnent à l'abbaye de Sénanque, sous la coupole octogonale de l'église abbatiale.
- Le chevet est composé d'une abside semi-circulaire unique. Cette abside est couronnée d'une corniche moulurée et est percée de trois baies en plein cintre. Elle s'appuie sur la croisée du transept, qui présente des trous de boulin, laissés par les échafaudages. La croisée du transept est surmontée par un petit clocher carré, et couronné par un toit en pierre de taille, terminé par une croix de pierre. Ce clocher est typique de l'architecture romane cistercienne, qui prône la sobriété.
Malgré la présence effective d'une dizaine de moines, qui vit à nouveau, depuis le milieu des années 80, dans l'abbaye de Sénanque, la partie ancienne de l'édifice reste visitable, avec notamment un très beau cloître.
- Le cloître : Ce n'est pas la première fois que nous nous rendons à l’Abbaye de Sénanque, mais ce n'est certainement pas la dernière, tant j'apprécie le moment de détente que je passe dans les allées du cloître, à contempler les chapiteaux sculptés.
Rempli d’émotion, on traverse les galeries silencieuses du cloître.
- Le dortoir : Lorsque l'on pénètre dans le dortoir collectif, on imagine facilement les moines cisterciens dormant tout habillés à même le sol, éclairés chacun par une fenêtre au levant et une autre au couchant, de manière à profiter de toute la lumière du jour.
C'est une pièce non chauffée, ils dormaient sur un lit équipé d'une natte et d'un oreiller, avec un drap et une couverture de laine, uniquement pour ce couvrir. On imagine facilement que ce ne devait pas être drôle tous les jours, notamment en période d'hiver...
Le dortoir.
- La salle capitulaire : elle communique directement avec le cloître. C'est un lieu important de la vie monastique. Dans cette pièce, tous les moines formant la communauté se réunissaient chaque matin. Un chapitre de la Bible est lu, avant que le travail quotidien ne soit réparti entre les moines. Cette salle servait également à partager les nouvelles des autres Abbayes, à élire les abbés, et à la confession publique des fautes.
- Le scriptorium : Cette pièce désigne l'atelier dans lequel les moines copistes réalisaient des livres copiés manuellement, (manuscrits), avant l'introduction de l'imprimerie en Occident. Le terme a quelquefois été repris pour désigner, de nos jours, une salle consacrée aux travaux d'écriture. C'est une des seules pièces comportant une cheminée, hormis la cuisine.
- La boutique : Un incontournable, aussi, la boutique des produits régionaux, confectionnés par les moines, vivant dans cette abbaye.
- Le réfectoire : Les repas des cisterciens sont pris dans le réfectoire commun. Les repas se limitent à des légumes bouillis, parfois du poisson mais jamais de viande. Ces quelques maigres plats sont agrémentés d'un peu de pain et de vin.
- Au seuil de l'église, une cellule individuelle, exigue et dénuée de tout confort, marque l'unique privilège de l'abbé cistercien. A l'heure du trépas, les moines cisterciens portés par leurs frères franchissent la porte des morts et reposent sur un autel de pierre brute, revêtus de leur seul habit, avant d'être enterrés à même la terre.
« Pour être du ciel, il faut être de la terre, y avoir ses racines, tel un arbre qui déploie ses branches vers l'infini », nous raconte un moine. Cette alliance en dit long sur Sénanque et sa vie monastique, où la quête spirituelle s'enracine dans la solitude, dans le travail et dans le silence qui monte de la nature intacte.
En parlant d’arbre, justement, c’est en empruntant le petit sentier qui mène derrière les bâtiments de l'abbaye, que nous sommes surpris de voir un étonnant chêne, au tronc creux.
Ce chêne pubescent, plusieurs fois centenaire, de 5 m de circonférence, ne laisser personne indifférent. Le vieil arbre n'est pas mort, bien que coupé en deux sur sa longueur et percé d'un beau tunnel vertical.
De profil, il parait presque crier au ciel, son tronc calciné par la foudre est envahi de cicatrices noires.
Désigné par les dieux, ce chên, miraculé, est véritablement fendu en deux, et pourtant de chaque côtés partent de belles branches déployées, fournies de feuilles. Un autre chemin vers le ciel…
A lui seul le chêne témoigne de la force de la nature et signifie bien qu'il est le roi des arbres. Celui-ci fait partie des arbres remarquables, en raison de son aspect tortueux, son envergure et son intérêt historique, associé à une croyance religieuse.
On trouve, en abondance, les chênes pubescents dans le massif forestier du Luberon. Les conditions climatiques, dans le Luberon, conjuguées à la nature du sol calcaire, sont parfaites pour son développement.
Les feuilles du chêne pubescent ne sont pas persistantes, comme celles du chêne vert, mais elles tombent au printemps et non en hiver : les nouvelles feuilles qui commencent à pousser font tomber les anciennes. L’arbre peut atteindre une hauteur de 25m et il peut vivre plusieurs siècles. Le chêne pubescent ne craint ni les terrains arides ni les froids de l'hiver.
J’espère vous avoir donné envie de rendre visite à cette belle abbaye. Les visites durent un heure, environ, et sont guidées. Vous y apprendrez tous les secrets et l’histoire, de ce lieu magique, et serez initié aux us et coutumes de la vie monacale.
Pour en savoir plus sur cette belle région du Luberon :
Laissez-vous tenter par le Luberon. Des villes et villages perchés à la vue incroyable, dont Gordes, l'un des plus beaux villages de France, des sentiers d'itinérance de toute beauté, un patrimoine historique remarquable et une gastronomie reconnue ...
http://www.luberoncoeurdeprovence.com
Bonne soirée
Gilbert